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Quelles modalités de mise en œuvre du droit à l’assistance d’un interprète ?

Pénal - Procédure pénale
26/09/2017
Par un arrêt du 12 septembre 2017, la Chambre criminelle se prononce sur la charge de la désignation de l’interprète intervenant en amont du débat contradictoire préalable au renouvellement de la détention provisoire et sur le délai raisonnable dans lequel la traduction écrite des éléments essentiels de la procédure doit être réalisée.
Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs de complicité de travail dissimulé aggravé, complicité d’emploi d’étrangers non munis d’une autorisation de travail, blanchiment aggravé, concours en bande organisée à une opération de placement et dissimulation ou conversion du produit d'un délit et aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour d'un étranger, un homme est mis en examen et placé sous mandat de dépôt. Sa détention provisoire est prolongée plusieurs fois, en dernier lieu par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 29 mars 2017.

L'intéressé interjette appel. Le 19 avril 2017, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon confirme l’ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire. Le mis en examen forme un pourvoi en cassation.

Rappelons d’emblée que l’article préliminaire du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne, prévoit, à l’alinéa 3 du III, que « si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu'elle comprend et jusqu'au terme de la procédure, à l'assistance d'un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l'exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code ».

En l’espèce, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte deux précisions importantes sur l’effectivité du droit à l’assistance d’un interprète, tel qu’il résulte notamment de la transposition en droit interne, des normes du droit de l’Union. Elle se prononce, d’une part, sur les modalités du droit à l'interprète lors des entretiens de la personne avec son avocat et, d’autre part, sur celles des dispositions concernant la traduction des pièces essentielles à l'exercice de la défense.


I. Sur la désignation de l'interprète préalablement au débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire

Le demandeur au pourvoi invoquait donc une violation de l’article 2 de la Directive n° 2010/64/UE du 20 octobre 2010, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles préliminaire et D. 594-3 du Code de procédure pénale. Or, dans le prolongement de l’article préliminaire, l’article D. 594-3 du Code de procédure pénale précise les modalités de mise en œuvre du droit à l'interprète lors des entretiens de la personne avec son avocat. Ainsi, « les entretiens avec l'avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et pour lesquels la personne peut demander à être assistée par un interprète, sont les entretiens intervenant, dans les locaux des services d'enquête, des juridictions et des établissements pénitentiaires, dans des conditions garantissant la confidentialité de l'entretien (…) 2° Préalablement à l'audition par un magistrat ». En l’espèce, le mis en examen dénonçait le fait de ne pas avoir pu s'entretenir avec son avocat à la maison d'arrêt, préalablement au débat contradictoire, faute d'avoir obtenu que lui soit adjoint un interprète.

Pour rejeter la demande d’annulation de l’ordonnance du JLD, la chambre de l’instruction énonce que par courrier du 9 février 2017, le juge d’instruction a fait savoir au conseil du mis en examen qu’il était tout à fait disposé à établir une réquisition pour qu’il puisse se rendre en détention avec un interprète et préparer les interrogatoires à venir et qu’il appartenait juste au conseil de faire connaître le nom de l’interprète et les jour et heure auxquels il se rendrait en détention avec lui.
Les juges ajoutent qu’il n’appartenait pas en effet au juge d’instruction de faire cette recherche et que l’avocat a, à cette occasion, été informé de la convocation de son client pour le 7 mars 2017, soit un mois plus tard, afin qu’il s’organise pour préparer utilement sa défense.
En outre, lors du débat contradictoire du 28 mars 2017 relatif à la prolongation de la détention provisoire, il a été proposé à l’avocat de s’entretenir avec son client, en présence d’un interprète, durant la durée qu’il souhaitait dans une pièce jouxtant la salle d’audience. Or le conseil a refusé, parce qu’il était attendu à une autre audience.

La Chambre criminelle se range à l’appréciation des premiers juges et considère que leur décision était justifiée « dès lors que le conseil n’alléguait pas avoir recherché, comme l’y avait invité le juge d’instruction, un interprète disponible sur les listes visées à l’article D. 594-16 du Code de procédure pénale ». Elle en déduit que le moyen ne saurait être accueilli, sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
 

II. Sur la traduction écrite des éléments essentiels de la procédure


Un deuxième moyen de cassation reposait sur la violation de l’article 3 de la Directive n° 2010/64/UE du 20 octobre 2010 et de la Directive n° 2013/48/UE du 22 octobre 2013. Le demandeur au pourvoi se plaignait de ne pas avoir pu bénéficier d’un accès concret et effectif à son avocat, en raison de l'absence de traduction écrite des éléments essentiels de la procédure dans un certain délai.

Or, toujours dans le prolongement de l’article préliminaire, l’article D. 594-7 du Code de procédure pénale impose que la traduction intervienne « dans un délai raisonnable qui permette l'exercice des droits de la défense et tienne compte du nombre et de la complexité des documents à traduire, et de la langue dans laquelle ils doivent être traduits ».

La chambre de l’instruction écartait la demande d’annulation de l’ordonnance, en retenant que les dispositions de l'article préliminaire transposant l'article 3 de la Directive n° 2010/64/UE du 20 octobre 2010 ont été parfaitement respectées en l'espèce, dès lors que l’intéressé a été assisté d'un interprète à tous les stades de la procédure, interprète qui lui a donné lecture des actes rédigés ou lui a traduit les motifs et le dispositif des décisions rendues, que son conseil a pu communiquer avec lui sans difficulté et que l’intéressé a donc pu exercer sa défense de manière concrète et effective. Ceci, d’autant que ce n'est que par un courrier du 15 août 2016 que son conseil a sollicité la traduction écrite de quelques pièces essentielles du dossier dans un délai raisonnable, demande qui a été acceptée par le juge d’instruction le 27 septembre 2016 et concrétisée en janvier 2017. Les juges du fond ajoutaient à cette occasion « que, à ce jour, la notion de délai raisonnable, qui ne constitue pas un concept autonome du droit de l'Union européenne, apparaît respectée.

La chambre criminelle de la Cour de cassation n’est, pas plus que précédemment, sensible à l’argumentation développée au soutien du pourvoi. Pour considérer qu’en l’état de ces énonciations, l’arrêt n’encourt pas les griefs allégués au moyen, la Cour rappelle d’abord que les dispositions des Directives n° 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 et n° 2013/48/UE du 22 octobre 2013 ont été transposées en droit interne par les lois n° 2013-711 du 5 août 2013, n° 2014-535 du 27 mai 2014 et n° 2016-731 du 3 juin 2016. « Par suite, toute demande de traduction de pièces essentielles acceptée par le juge d'instruction doit être satisfaite dans un délai raisonnable, conformément aux dispositions générales de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et aux dispositions particulières de l'article D. 594-8 du même code, dont la chambre de l’instruction a fait l’exacte application ».

La Chambre criminelle pousse le raisonnement jusqu’à son terme en envisageant le cas où le mise en examen n’aurait pas obtenu l’autorisation de disposer d’une reproduction des pièces traduites. Aucun argument lié à la violation des dispositions invoquées n’aurait pu prospérer, dès lors que le « mis en examen avait la possibilité de les consulter par l’intermédiaire de son avocat, de sorte qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de la défense ». Le moyen devait donc être écarté, sans qu’il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
 
Source : Actualités du droit