Retour aux articles

Réforme de la prescription pénale : nouveaux délais et application de la loi dans le temps

Pénal - Procédure pénale
01/03/2017
La loi portant réforme de la prescription en matière pénale est enfin publiée. Retour sur les nouvelles modalités de prescription de l'action publique et des peines.

Aux termes de l'article 6 du Code de procédure pénale, la prescription est une cause d'extinction de l'action publique. Exception péremptoire et d'ordre public, elle peut être invoquée par le prévenu en tout état de la procédure (voir not. Cass. crim., 28 juin 2016, n° 15-84.968, à paraître) et relevée d'office par les juges, après avoir permis aux parties d'en débattre (voir not. Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 15-86.019, à paraître).

Progressivement devenu un véritable instrument de politique criminelle, le droit de la prescription était source de confusion et d'insécurité, notamment en raison de l’élaboration prétorienne, contestée, d’un droit spécial de la prescription pénale des infractions dissimulées. La loi nouvelle remanie profondément les règles régissant la puissance du temps sur l’infraction.
 

1. Les nouveaux délais de prescription (action publique et peines)

Sur les anciens délais de prescription, voir Le Lamy Formulaire commenté procédure pénale, n° 110-10.

1 an :

 

3 ans :

 

6 ans :

 

10 ans (C. pr. pén., art. 8, al. 2) :

Délits de l’article 706-47 du Code de procédure pénale commis sur mineurs, sauf agression sexuelle (C. pén., art. 222-29-1) et atteinte sexuelle aggravée (C. pén., art. 227-26) :  

20 ans :

Matière criminelle :

 

Matière délictuelle (C. pr. pén., art. 8, al. 3) :

 

30 ans (C. pr. pén., art. 7, al. 2) :

 

Imprescriptibilité (C. pr. pén., art. 7, al. 3) :

 

 2. Le point de départ du délai de prescription

 
Jour de l’infraction (C. pr. pén., art. 7, 8 et 9). — Comme auparavant, le dies a quo est en principe le jour où l’infraction a été commise, en matière contraventionnelle (C. pr. pén., art. 9), délictuelle (C. pr. pén., art. 8) et criminelle (C. pr. pén., art. 7). Pour les peines, le point de départ du délai est fixé à la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive (C. pén., art. 133-2 et 133-3).
 
Report à la majorité du mineur (C. pr. pén., art. 9-1, al. 1). — Le point de départ du délai de prescription de l’action publique est reporté au jour de la majorité du mineur, en ce qui concerne :  
Naissance de l’enfant (C. pr. pén., art. 9-1, al. 2). — Report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où naît l’enfant issu d’un clonage reproductif (C. pén., art. 214-2).
 
Infractions clandestines. — La loi nouvelle définit les notions d’infractions occultes ou dissimulées :  
La loi nouvelle (C. pr. pén., art. 9-1, al. 3) consacre également, en partie, la jurisprudence développée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en ce qui concerne le report du dies a quo (voir Le Lamy Formulaire commenté procédure pénale, n° 110-20), tout en instaurant un délai butoir, afin d’éviter une imprescriptibilité de fait :
  • report du point de départ du délai « au jour où l’infraction est apparue et a été constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » ;
  • instauration d’un délai butoir « de prescription » (de report du dies a quo ?) de 12 ans en matière délictuelle et de 30 ans en matière criminelle à compter du jour où l’infraction a été commise.
  

3. L’interruption de la prescription


La loi nouvelle (C. pr. pén., art. 9-2) définit les actes dotés d’un effet interruptif de prescription, auparavant simplement envisagés comme les « actes d'instruction ou de poursuite » (voir Le Lamy Formulaire commenté procédure pénale, n° 110-30).
 
Les actes de poursuite concernés (« tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique, prévu par … » ; C. pr. pén., art. 9-2, al. 1, 1°) sont les suivants :  
Les actes d’instruction (entendue au sens large : enquête, instruction préparatoire pendant l’information judiciaire ou définitive à l’audience ; C. pr. pén., art. 9-2, al. 1, 2° à 4°) concernés sont les suivants :
  • tout acte d'enquête émanant du ministère public ;
  • tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
  • tout acte d'instruction prévu aux articles 79 à 230 du Code de procédure pénale, accompli par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués (commission rogatoire), tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction ;
  • tout jugement ou arrêt, même non définitif, s'il n'est pas entaché de nullité.
 
Effet de l’acte interruptif de prescription. — La loi consacre, ici comme ailleurs, la jurisprudence : les actes et décisions précités sont courir un nouveau délai de prescription, d’une durée égale au délai initial (C. pr. pén., art. 9-2, al. 2). L’effet interruptif s’étend aux infractions connexes et aux auteurs ou complices non visés par l’un de ces actes ou décisions  (C. pr. pén., art. 9-2, al. 3).
 
Information de la victime. — L’alinéa 2 de l'article 15-3 du Code de procédure pénale, aux termes duquel « tout dépôt de plainte fait l'objet d'un procès-verbal et donne lieu à la délivrance immédiate d'un récépissé à la victime » est complété par la prévision d'une mention, au PV, des délais de prescription de l'action publique et de la possibilité d'en interrompre le cours de la prescription par un dépôt de plainte avec constitution de partie en application de l'article 85 du Code de procédure pénale.
 
Interruption du délai de prescription des peines. — Un nouvel article 133-4-1 du Code pénal renvoie à l’avant-dernier alinéa de l’article 707-1 du Code de procédure pénale : comme auparavant, le délai de prescription des peines est interrompu par les actes ou décisions du ministère public, des juridictions de l'application des peines et, pour les peines d'amende ou de confiscation relevant de leur compétence, du Trésor ou de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui tendent à son exécution.
 

4. La suspension de la prescription

 
Droit antérieur. — La suspension de la prescription était parfois légalement prévue, mais résultait, le plus souvent de la jurisprudence, qui admettait, de manière générale, que la suspension résulte de tout obstacle « insurmontable », de fait ou de droit, à l'exercice de l'action publique (voir Le Lamy Formulaire commenté procédure pénale, n° 110-25).
 
Nouvelles dispositions. — Le nouvel article 9-3 du Code de procédure pénale consacre la jurisprudence en la matière : le délai de prescription est suspendu par :
  • tout obstacle de droit prévu par la loi ;
  • tout obstacle de fait, « insurmontable et assimilable à la force majeure » ;
  • qui rendent impossible la mise en mouvement de l’action publique.
 
La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 85 du Code de procédure pénale, relative à la suspension du délai de prescription entre la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction et la réponse du parquet ou, au plus, pendant 3 mois, est abrogé (L. n° 2017-242, 27 févr. 2017, art. 3, II, 1°).
 

5. Application dans le temps de la loi nouvelle

 
Rappelons qu’il est de principe, aux termes de l’article 112-2 du Code pénal, que « sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur : (…) 4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines ». La loi pénale de prescription étant ainsi d’application immédiate, la loi du 27 février 2017 devrait être applicable à toutes les affaires non encore poursuivies, à celles pendantes devant une juridiction pénale et à celles à venir.

La question à résoudre est celle de savoir si les faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle étaient ou non prescrits à ce moment-là (en tenant compte des éventuels actes interruptifs de prescription) : dans l’affirmative, ils ne pourront plus être poursuivis ; dans la négative, la loi nouvelle s’appliquera (indépendamment, s’agissant d’une loi de procédure, de son caractère plus sévère ou non).
 
Avec une formulation pour le moins assez complexe et ne tenant pas compte de l’effet interruptif des actes de procédure (C. pr. pén., art. 9-2 ; voir supra), l’article 4 de la présente loi s’attache à son application dans le temps. Ce texte prévoit que « la présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise ».

A priori, rien ne semble contredire les principes sus-énoncés, d’autant que la plupart des dispositions de la nouvelle loi allongent ou maintiennent les anciens délais de prescription. Ceci, à l’exception du délai butoir instauré pour la poursuite des infractions clandestines (30 ans en matière criminelle, 12 ans en matière délictuelle, à compter des faits ; C. pr. pén., art. 9-1, al. 3 ; voir supra).
 
C’est donc précisément au regard de ce délai butoir qu’il faut raisonner ici, puisqu’il est de nature à entraver la poursuite de faits anciens et n’ayant pas (encore) donné lieu à la saisine du juge pénal, d’instruction ou de jugement. À côté du cas où les faits étaient prescrits avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (qui n’y change rien, faute d’application rétroactive), plusieurs hypothèses doivent être distinguées :
  • Si une juridiction pénale a été saisie avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, le délai butoir n’a pas vocation à s’appliquer, ainsi que l’indique maladroitement l’article 4. On observera néanmoins à cet égard que l’acte de saisine du juge est, en lui-même, doté d’un effet interruptif de prescription. Aussi la précision du texte concernerait-elle l’hypothèse, peu probable, où l’affaire serait pendante devant une juridiction d’instruction ou de jugement depuis 12 ou 30 ans, sans qu’aucun acte interruptif, n’ait été accompli… ;
  • Si aucune juridiction d’instruction ou de jugement n’a été saisie avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, deux cas de figure se présentent :
    • Soit les faits n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque investigation : alors, faute d’acte interruptif de prescription qui ferait courir à nouveau l’entier délai (par exemple, un PV d’enquête), il ne sera plus possible de les poursuivre au-delà d’un délai de 30 ans (crimes) ou de 12 ans (délits) à compter de leur commission ;
    • Soit au moins un acte doté d’un effet interruptif de prescription a été accompli (l’infraction pouvant néanmoins garder son caractère clandestin) : en pareil cas, le délai de prescription a recommencé à courir, à compter de cet acte, pour une durée égale au délai initial et le délai butoir de 12 ou 30 ans n’aura pas non plus vocation à interférer dans le caractère poursuivable, ou non, de l’affaire.

 
Dès lors et à la lumière des travaux parlementaires, il convient d’admettre que la nouvelle loi est bien, normalement, d’application immédiate. Le délai butoir, quant à lui, ne s’applique pas (logiquement) aux affaires « en cours » (au sens restreint, en cas de saisine d’une juridiction pénale). En ce qui concerne les faits n’ayant pas « donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique », ils ne pourront plus être poursuivis au-delà d’un délai de 12 ou 30 ans à compter de leur commission, à moins qu’un acte interruptif de prescription n’ait été accompli entretemps.

 
Voir Le Lamy Formulaire commenté procédure pénale, étude n° 110.

 
Remarque : une autre lecture des dispositions pourrait néanmoins être la suivante, au prix d’une interprétation littérale : l’article 9-1 du Code de procédure pénale vise un délai butoir, non pour le « report du point de départ du délai de prescription », mais pour le « délai de prescription » lui-même. Mise en parallèle de la condition relative à la mise en mouvement de l’action publique de l’article 4 de la présente loi, cette formulation conduirait à neutraliser les effets interruptifs des actes de procédure accomplis, ne consistant pas dans la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique (avec la part d’interrogation que suscite cette distinction). Il s’agirait alors en effet de considérer que tous les faits dont aucun juge d’instruction ou de jugement n’a été saisi avant l’expiration d’une période de 12 ou 30 ans depuis leur commission, ne pourront plus être poursuivis, au sens de la mise en mouvement de l'ation publique. Une telle lecture, très peu conforme à une interprétation téléologique, pourrait  alors conduire à un surcroît d’activité des juridictions d’instruction…

Source : Actualités du droit