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CEDH : condamnation de la Turquie pour procédure ineffective sur les allégations de viol et d'agression sexuelle d'une mineure par son beau-père

Pénal - Procédure pénale
24/10/2016
Il y a violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants/absence d'enquête effective) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH), dès lors que la procédure a connu des retards considérables ayant conduit à la prescription du chef d'agression sexuelle. La procédure menée en l'espèce, et en particulier la démarche adoptée par la cour d'assises, ne sont pas de nature à satisfaire aux exigences inhérentes aux obligations de l'État tenant à l'adoption de dispositions pénales et à leur application effective. Telle est la substance d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), rendu le 18 octobre 2016. 
Dans cette affaire, le 9 octobre 2002, G. se présenta au commissariat de police, alléguant avoir été violée par son beau-père (M. S.), sous la menace d'une arme. Le même jour, G. fut examinée à l'hôpital. Son examen révéla une rupture ancienne de l'hymen, impossible à dater, et une absence de trace physique de viol. Au cours de sa déposition, elle leur expliqua avoir eu des relations sexuelles forcées avec son beau-père à trois ou quatre reprises lorsque sa mère et sa soeur étaient absentes. Le 18 octobre 2002, le procureur de la République inculpa M. S. d'attouchements, de viol et de séquestration. La première audience eut lieu le 18 novembre 2002 devant la cour d'assises, laquelle accueillit la demande de constitution de partie intervenante formulée par l'avocat de G., qui témoigna en audience publique, la juridiction pénale ne s'étant pas prononcée sur la demande de huis clos. M. S. nia les faits reprochés, expliquant souffrir d'impuissance depuis environ un an. Le 27 décembre 2006, la cour d'assises prononça l'acquittement de M. S., se basant entre autres sur différents rapports médicaux, estimant notamment que M. S. était impuissant à la date des faits dénoncés et ne pouvait donc pas avoir commis les faits reprochés.

La Cour de cassation confirma ce jugement, relevant, en outre, que l'infraction d'attouchements était frappée de prescription. Invoquant l'article 3 de la CESDH, G. s'est plaint de l'absence d'une procédure effective et allégua, sur le fondement de l'article 6 de la CESDH (droit à un procès équitable), du manque d'équité de la procédure pénale devant la cour d'assises. Sous le fondement de l'article 8, G. a soutenu avoir été victime d'un crime resté impuni, dénonçant avoir dû témoigner au cours d'une audience publique et le fait que le rapport de l'institut médicolégal suggérait qu'elle aurait consenti aux actes dénoncés par elle. La Cour décidant d'examiner ces griefs sous l'angle des seuls articles 3 et 8 de la Convention, admet leur violation et condamne la Turquie à verser à la requérante 15 000 euros pour dommage moral, et 2 000 euros pour frais et dépens.

Cf. également CEDH, 20 nov. 2014, aff. 47708/08, Jaloud c/ Pays-Bas.
Source : Actualités du droit